Ton point de vue est parfaitement défendable. Il est on ne peut plus vrai que l’histoire de la philosophie est largement sexiste, machiste, phallocrate, hétérosexiste (on peut rajouter bourgeoise il me semble, le niveau de vie des auteurs comme de leurs lecteurs n’est pas celui de n’importe qui, dans l’immense majorité des cas). Que les écrits des philosophes aient permis de valider ce genre de regrettables idées qui sont d’ailleurs loin d’être écartées aujourd’hui, voila qui est incontestable.
A présent, je voudrais te demander au nom de quoi tu considères ces positions comme inacceptables. Tu dis que la philo "ne suffit pas", c’est donc en vertu d’autres principes que des principes "philosophiques" que tu considères le machisme comme révoltant. Je peux concevoir qu’on souffre d’un sytème social qui nous opprime, et qu’il n’y a pas besoin d’avoir fait de philo pour cela. Mais il est également vrai que la prise de conscience que l’on est opprimé ne vient pas du simple fait d’être opprimé : l’exemple du machisme en est il me semble un bon exemple. Les luttes féministes ont beau être très anciennes (aristophane à ma connaissance) et très répandues aujourd’hui, un très grand nombre de femmes considère leur situation comme naturelle, légitime, etc. A mon avis, c’est une philosophie, une certaine conception de la dignitié humaine, des droits de l’Homme (encore un machisme de la langue...), bref, c’est une certaine éducation qui permet aux femmes (et aux hommes, on n’est pas des brutes irrécupérables), de prendre conscience de la domination masculine de nos sociétés sur les femmes.
J’ai repris ton exemple mais on pourrait je crois faire le même constat en ce qui concerne les autres formes d’injustice dont la philo a été (et continue à être)vle véhicule.
Les écrits philosophiques sont capables du meilleur comme du pire, comme n’importe quelle action des humains. Je ne crois pas une seconde que dès lors qu’on s’occupe de philosophie, tout ce que l’on dit ou fait sera nécessairement moral et vrai... L’histoire de la philo est remplie d’erreurs. Mais ce qui nous permet de dire que ce sont des erreurs, je veux dire, ce qui nous permet de dire que ces idées sont scandaleuses, ce n’est rien d’autre qu’une conception philosophique. L’histoire de la philosophie n’est pas un tout simple mais un corpus traversé par tout un tas de contradictions.
Comment faire le tri entre toutes ces idées pour en dégager les bonnes ? C’est là qu’on sort de la simple histoire la philosophie pour faire de la philosophie, au sens plein du terme, c’est à dire ne pas se limiter à lire les philosophes pour savoir ce qu’ils ont pensé (auquel cas effectivement on serait forcé d’appeler du même nom de philosophie la validation aristotélicienne de l’esclavage, que sa dénonciation par Montesquieu, on serait obligé d’interpréter la quasi inexistence de femmes philosophes dans l’histoire comme une incompatibilité entre les deux), pour s’occuper d’éprouver la vérité de ces conceptions passées.
Comment le fait-on ? selon moi, par la logique (tel énoncé est contradictoire avec tel principe), et par la confrontation à notre expérience. Alors on retombe sur ce dont je parlais au début, c’est à dire la possibilité de ressentir dans notre vie concrète l’inadéquation de tel principe philosophique. Tu dis que la philosophie a justifié des positions machistes etc. Si tu veux dire que les philosophes ont souvent argumenté en faveur de l’infériorité de la femme, tu as raison. Mais moi je ne trouve pas qu’ils l’ont justifiée ! Je ne suis nullement convaincu de leurs raisons et les trouve mauvaises.
Effectivement étudier l’histoire de la philosophie ne suffit pas, il faut pratiquer la philosophie, et si tu as lu un peu mes autres commentaires sur ce site, tu dois être habituée à ce genre de position de ma part...
Il s’agit juste de s’entendre sur les termes. Je n’appelle pas philosophie au sens plein du mot le corpus de textes des philosophes. Cela constitue l’histoire de la pensée, une culture si l’on veut. La philo, c’est lorsqu’une théorie surgit de notre expérience directe, ou lorsqu’on confronte une théorie héritée à notre expérience.
Si la domination masculine ne te fait pas seulement chier en tant que femme, mais que tu la trouves injuste en soi, tu fais une théorie, tu fais de la philo à mon sens. Donc nous sommes d’accord. Heureux d’avoir pu nous entendre aussi rapidement !
A propos, l’idée traîne de faire un dossier spécial de la pholie chronique sur "la femme" ou "la féminité", ou "la femme et la philosophie". ça peut t’intéresser, et ça nous intéresse si tu es intéressée. Désolé de te réduire à une féministe, mais c’est la seule facette que tu nous laisses voir de toi pour l’instant...